La 5G en débat : big data, big brother et la lampe à huile

De nombreux maires ont appelé à un moratoire au développement de la 5G, dont la ville de Strasbourg.

Si d’un point de vue juridique ces prises de positions sont surprenantes, dans la mesure où l’implantation des antennes relève de la compétence exclusive de l’État (ministre chargé des communications électroniques et ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), il n’en demeure pas moins qu’elles reflètent l’inquiétude légitime des citoyens.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler sa théorie du concours des pouvoirs de police qui interdit au titulaire du pouvoir de police générale – le Maire ici – d’empiéter sur la compétence du titulaire d’une police spéciale : CE Ass, 26 oct. 2011, n° 326492 / n° 329904  / n°341767).

Les Maires ne peuvent ainsi intervenir qu’en cas d’urgence, concernant une antenne déterminée, au regard de circonstances locales exceptionnelles, ce qui limite tout particulièrement son champ d’action.

Bien sûr, peuvent être mises en place des règlementation d’urbanismes en matière d’implantation d’antenne, notamment en termes de hauteur, mais sous le contrôle entier des juridictions administratives, saisies rapidement par les opérateurs, avec des marges de manœuvres bien étroites.

Pire, la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 en son article 222 a inséré une disposition à titre expérimental – ce qui n’est jamais bon – jusqu’au 31 décembre 2022 empêchant le Maire de retirer la décision d’urbanisme concernant l’établissement d’antennes relais de téléphonie mobile lorsqu’il constate après coup une illégalité (article L424-5 du code de l’urbanisme).

C’est dire que le gouvernement veut que tout aille bien vite.

Alors oui, le Maire dispose d’un droit à information de la part des opérateurs,  renforcé par la loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques , dite Loi Abeille.

Et des mesures des champs électromagnétiques peuvent être demandées, réalisées par un des laboratoires accrédités par le Comité français d’accréditation (COFRAC), parfois même avec une prise en charge du coût des opérateurs.

Par ailleurs, de nombreuses chartes locales de bonnes conduites ont été mises en place entre municipalités et opérateurs, qui ne sont toutefois pas contraignantes.

Strasbourg a signé la sienne en 2012, et l’Eurométropole s’apprête à faire de même en 2021.

Quant au principe de précaution, le Conseil d’État exige une nocivité potentielle, circonstanciée à un projet d’antenne particulier, pour l’instant jamais reconnue : il faut se fonder sur des éléments circonstanciés faisant apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus  : CE, 30 janv. 2012, n° 344992/344993.

Un rapport commun au CGEDD, à l’IGAS, l’IGF et CGEIET, du mois de septembre 2020, rédigé à la va-vite en deux mois durant l’été 2020, recommande a minima :

  • la publication de toutes les informations/ rapports / études sur le sujet de la 5G ;
  • de mesurer l’impact environnemental du déploiement des réseaux 5G ;
  • d’informer plus complètement, et d’associer pleinement les acteurs locaux.

Ce rapport fait lui-même écho à l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, à savoir un moratoire, dans l’attente d’une évaluation environnementale et sanitaire (par l’ANSES dont le rapport est prévu pour le mois de mars 2021, et par l’ADEME pour la mise en place d’outils d’évaluation adaptés aux impacts environnementaux).

On connaît la réponse sur un ton dédaigneux du Président Macron himself, réduisant des interrogations légitimes d’ordre scientifique, sociétale, de santé publique et d’environnement, à une opposition stérile entre ceux qui interrogent – «les Amishs » -, et ceux qui avancent – « le progrès »-.

Pourtant, le déploiement de la 5G pose de nombreuses questions dont notamment :

L’impact environnemental : il faudra renouveler tous les téléphones actuels pour avoir accès à la 5G, soit plusieurs milliards : soit autant de besoins en métaux rares ; soit autant d’augmentation des gaz à effets de serre, et alors que le recyclage n’est qu’anecdotique sur le plan planétaire…

De la même façon, puisque la 5G permettra des flux de données bien plus importantes – dont il ne faut pas se voiler la face, une bonne partie à l’heure actuelle est le fait d’une consommation de loisirs (streamings) – donc des data centers en conséquences, et donc une consommation énergétique en augmentation constante .

L’impact sanitaire : la 5G n’apporte rien de nouveau, mais en rajoute des couches : outre l’Hypersensibilité aux champs électromagnétiques, seront à déplorer les effets d’une surconsommation d’écran, d’ores et déjà constatée, et sa cohorte d’effets sur le développement des enfants / adolescents : sédentarité, problèmes de concentration, rapports sociaux réduits, …

L’impact sur les libertés publiques : le développement de la 5G permettra notamment le déploiement de l’intelligence artificielle dans des villes dites connectées ou intelligentes : il nous est ainsi vendu la gestion automatique des flux, ou une amélioration de la sécurité par une surveillance vidéo accrue, en omettant l’un de ses corolaires la reconnaissance faciale, que certaines villes comme Nice, expérimentent déjà.

C’est dans ce contexte que notre cabinet a été invité en qualité d’expert par l’Eurométropole le 2 décembre dernier pour un débat citoyen.

Le débat peut être revu ici : https://participer.strasbourg.eu/-/5g-debat

Si l’on peut déplorer que cette participation du public intervienne une fois que les choix cruciaux aient été pris, les demandes de moratoire par les municipalités sont-elles pour autant vaines ?

Pas si sûr, puisque Orange a décidé de surseoir à l’implantation de la 5G à Strasbourg dans l’attente la concertation citoyenne.

A suivre donc…

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